Ministre des solidarités et de la santé de 2017 à 2020, Agnès Buzyn s’exprime pour la première fois dans le débat national sur la fin de vie lancé par Emmanuel Macron en septembre 2022. Professeur de médecine, l’ex-hématologue aujourd’hui conseiller maître à la Cour des comptes suggère modifier la loi Claeys-Leonetti de 2016 uniquement pour les personnes atteintes de maladies neurodégénératives.
Quel regard portez-vous sur le débat national sur la fin de vie ?
Sur des sujets comme celui-ci, à chacun de se faire une opinion, il ne faut pas tomber dans des polémiques inutiles et dangereuses, et je le sais d’autant plus que j’ai été ministre de la Santé. Si je m’exprime aujourd’hui, c’est à travers ma pratique professionnelle. Et si j’éprouve une certaine prudence vis-à-vis de l’aide active à mourir, c’est avant tout en raison de mon expérience d’aidant… Face aux maladies cancéreuses, j’ai remarqué en vingt ans de pratique que plus les patients se rapprochent de la mort, moins ils demandent mourir, plus ils demandent qu’on trouve un traitement qui puisse les soulager et prolonger leur vie. Malheureusement, j’ai vu des centaines de personnes en fin de vie. Je ne me souviens pas que des malades m’aient demandé de mourir.
J’ai acquis peu à peu la conviction que cette question de la liberté de l’instant de la mort se pose essentiellement quand on n’est pas face à la mort. Elle survient lorsque vous êtes encore en bonne santé et que vous souhaitez conserver cette liberté de choisir votre destin, lorsque vous aspirez à être maître de votre vie, et de votre fin de vie. Le débat sur l’aide active à mourir est, selon moi, avant tout un débat entre personnes en bonne santé.
Que pensez-vous de l’application de la loi Claeys-Leonetti aujourd’hui ?
Il est insuffisamment appliqué faute d’un nombre suffisant de soignants capables de le mettre en œuvre. La priorité doit être donnée à leur formation à la prise en charge de la douleur et à l’élargissement de l’enseignement des soins palliatifs. Faute de médecins en France, il convient de réfléchir à la possibilité de former en soins palliatifs des infirmières diplômées en « pratique avancée », afin qu’elles puissent intervenir sans nécessairement la présence d’un médecin.
L’application de la loi Claeys-Leonetti [qui permet la sédation profonde et continue jusqu’au décès uniquement pour les malades qui vont mourir dans un délai court] est également hétérogène. Cette loi déclenche en fait la sédation à différents moments du traitement. Dans certaines équipes, il est mis en œuvre de manière extrêmement stricte. En d’autres termes, la sédation profonde et continue jusqu’au décès est proposée en dernier recours, uniquement aux personnes en situation pré-mortem.
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