LETTRE DE BRUXELLES
A Strasbourg, une nouvelle session plénière s’ouvre lundi 13 mars. Comme chaque mois, les 705 députés du Parlement européen regagnent leurs locaux alsaciens pour une semaine de débats et de votes. Au programme, une rencontre avec le président lituanien, Gitanas Nauseda, des débats avec Josep Borrell, le haut représentant de l’Union européenne, sur les manifestations en Israël, en Géorgie ou la situation en Moldavie. Des échanges avec la Commission, voire des questions thématiques, comme la question des derniers naufrages au large des côtes italiennes.
Mais désormais, il n’y aura plus de débat politique dans le vaste hémicycle aux sièges bleus de l’Europe. Au mieux, devant quelques collègues épars, des dizaines de députés se succéderont dans l’indifférence quasi générale à la tribune pour lire, en trente secondes, une ou deux minutes, un discours, qui porte le plus souvent sur le sujet abordé – mais pas toujours ! Ils pourront ensuite publier la vidéo de leur intervention sur leur fil de réseau social préféré… “En plénière, les eurodéputés s’adressent plus à leur public national qu’à leurs collègues”résume le député écologiste allemand Daniel Freund.
Pour donner un peu de vie à une séance publique de plus en plus soporifique, le Parlement a récemment introduit des cartes bleues pour rendre les échanges possibles. Un élu peut interpeller officiellement un de ses collègues après son intervention, s’il brandit cette carte. Il disposera alors de trente secondes, si l’adjoint au pupitre est d’accord, pour poser une question à l’orateur. Et celui-ci pourra lui répondre… “C’est une manière de débattre, mais relativement légère”reconnaît Geoffroy Didier, élu Les Républicains (PPE). “Si on veut s’intéresser à l’Europe, il faut un vrai questionnement lors des questions d’actualité à la Commission, par exemple, il continue. Aujourd’hui, c’est une succession de plaisanteries, pas de débat houleux… C’est de l’antipolitique ! »
Travail de compromis et d’ombre
Alors qu’en France, interpellations et invectives rythment les séances, comme l’a encore démontré l’examen de la réforme des retraites au Palais-Bourbon de Strasbourg, les séances publiques se sont peu à peu éteintes. « On sent que le Covid-19 est passé par làjuger un officiel de l’hémicycle. Les députés arrivés lors de la dernière session ont vécu près de deux ans de débats et d’interventions à distance… Bref, c’est compliqué de s’engueuler à distance ! »
Si le Parlement européen en est arrivé là, ce n’est pas un hasard. « Depuis quarante ans, et l’Acte unique en 1986, le Parlement n’a cessé de vouloir déjouer les pronosticsdécrypte le politologue Olivier Costa. Lorsque les États lui ont transféré le pouvoir législatif, les diplomates qui l’ont élaboré pensaient que les eurodéputés ne pouvaient pas l’assumer… Depuis, le Parlement a une obsession : rendre sa délibération efficace et se montrer digne de son pouvoir, quitte à réduire le droit de chaque parlementaire, notamment dans l’hémicycle, et à éviter toute possibilité d’obstruction. »
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