Ce 3 mars 2023, sur le plateau de “Balance”, l’une des émissions populaires de Walf TV, Pape Ndiaye s’exprime sur l’affaire la plus sensible au Sénégal depuis des mois, celle surnommée “Sweet Beauty”. Le nom est celui du salon de massage dans lequel Ousmane Sonko est soupçonné d’avoir violé l’un des employés, Adji Sarr. Une affaire dans laquelle l’opposant au président Macky Sall vient d’être renvoyé devant la justice.
Une décision politique, sous-entend ce jour-là Pape Ndiaye. Le sténographe judiciaire affirme – sans toutefois apporter la moindre preuve – que 19 procureurs adjoints se sont opposés à cette saisine de la chambre criminelle. Quelques heures plus tard, le matin du 4 mars, le journaliste a été placé en garde à vue puis, mardi 7 mars, sous mandat de dépôt. Au total, six chefs d’inculpation ont été retenus contre lui : incitation à attroupement, outrage à magistrat, intimidation et représailles à l’encontre d’un magistrat, discours discréditant un acte judiciaire, diffusion de fausses nouvelles et mise en danger de la vie d’autrui.
« Seuls deux chefs d’accusation se rapportent vraiment à l’affaire, les autres sont grotesques et n’ont rien à voir avec l’affaire », s’étonne Ibrahima Lissa Faye, membre de la Coordination des associations de presse (CAP) et présidente de l’Association de la presse en ligne (Appel). Selon Moussa Sarr, l’avocat de l’accusé, Pape Ndiaye risque jusqu’à trois ans de prison.
“Un simple démenti du parquet aurait suffi”, regrette Me Sarr. Un avis partagé par M. Faye : «Pape Ndiaye a reconnu son erreur et a fait amende honorable. Il aurait été plus logique de saisir le Conseil de l’observatoire des règles d’éthique et de déontologie dans les médias [Cored], qui aurait pu l’empêcher d’exercer ses fonctions. »
“Ce n’est pas acceptable dans une démocratie”
Si l’affaire Pape Ndiaye inquiète sa profession, c’est qu’elle rappelle l’arrestation, en novembre 2022, du journaliste Pape Alé Niang. Il a également été accusé de “diffusion de fausses nouvelles” en lien avec l’affaire Adji Sarr. Suite à une forte mobilisation, le journaliste du site d’information Dakar Matin, en grève de la faim, avait été libéré après deux mois de prison.
« Quand deux journalistes très connus sont arrêtés et poursuivis en l’espace de quelques mois dans l’exercice de leurs fonctions, c’est que la situation est grave. Ce n’est pas acceptable dans une démocratie, où le droit d’informer est inscrit dans la Constitution. rappelle Me Sarr. Les autorités sénégalaises ont toujours défendu qu’elles ne s’ingèrent pas dans les affaires judiciaires.
A un an de l’élection présidentielle de février 2024, la tension est palpable. Alors que Macky Sall est soupçonné par ses détracteurs de vouloir briguer un troisième mandat, son principal adversaire, Ousmane Sonko, est poursuivi dans plusieurs affaires, ce qui pourrait l’empêcher de se présenter comme candidat.
Les arrestations et les poursuites contre des militants et sympathisants d’opposants politiques se sont multipliées ces derniers mois. « Le gouvernement a décidé de museler et d’intimider la presse pour que les journalistes aient peur et ne traitent plus des sujets sensibles. On sent une volonté de l’Etat de casser les journalistes pour qu’ils s’autocensurent », rapporte M. Faye, du CAP. Il craint que d’ici 2024, les attaques contre la presse ne se multiplient. « Demain, ce sera peut-être un frère ou une sœur. L’affaire « Sweet Beauty » a fait de nombreuses victimes », il s’inquiète.