Dans l’espoir de préserver le secret autour de cet ouvrage consacré à la canard enchaînéla maison d’édition avait baptisé le projet « Donald », du nom du célèbre palmipède une petite soupe au lait de Disney. Le dernier titre Cher canard (JC Lattès), ajoute une allusion pécuniaire, ainsi qu’un clin d’œil au Cher connard de Virginie Despentes, donnant une idée assez précise de l’esprit caustique avec lequel l’auteur, journaliste pour l’hebdomadaire satirique, a pris la plume. Dans aucun des vingt-quatre chapitres, ces deux aspects ne sont négligés. Il s’agit ici de gros sous autant que du peu d’estime de l’enquêteur pour ceux qui, dans le journal, se seraient rendus coupables d’une vilaine turpitude.
Reprenons les faits depuis le début. Tout a commencé par une conversation informelle devant la photocopieuse, fin 2015 ou début 2016, avec un ancien secrétaire général de la rédaction. Grommelant sur l’extraordinaire longévité professionnelle du créateur plus qu’octogénaire André Escaro, l’auteur des cabochons de la page 2 – celle qui abrite “La Mare aux canards” -, Nobili s’entend répondre : “Mais ce n’est pas lui que nous payons, chérie, c’est elle.” » Faussement désinvolte, la ligne inocule le poison du doute dans cet esprit fouineur. Et si c’était vrai ? Et si Le canard enchaînédont l’activité principale historiquement est de ridiculiser les méchancetés des puissants, avait employé pendant des années (de 1996 à 2020, découvrira-t-il) la compagne d’un collaborateur, alors ex-collaborateur, sans rémunération d’aucun travail ?
Lors de l’élection présidentielle de 2017, les fortes émotions liées à la révélation des différents emplois fictifs dont jouissait Penelope Fillon, épouse de l’ancien Premier ministre devenu candidat des Républicains François Fillon, détournent Nobili de ses interrogations. Autour de son arôme de soufflé d’escargot, le récit de sa rencontre, dans une brasserie mémorable d’Orléans, avec l’informateur qui lui apportera la preuve que des salaires ont été indûment versés à cette passionnée “Poneys Shetland” a les drôles d’accents d’un San-Antonio. Elle fait aussi ressentir l’euphorie du journaliste qui détient le scoop de sa vie… Après quoi le retour à l’actualité ressemble à une gueule de bois.
Lanceur d’alerte
Entré à Canard comme le délice de la crèche une douzaine d’années plus tôt, l’enquêteur s’attarde désormais sur les fissures du bâtiment, ses dorures fanées (les chefs adorés hier qui déçoivent, les boules qui se font rares) et son décorum désuet (les -les déjeuners étagés post-confinement façonnés, les dubs tendus à base de stocks discrétionnaires, etc.). Déchiré ” entre [s]nous ambitionnons et [son] rejet, au fond, de tout ce cinéma, de ce folklore obsolète, de ce paternalisme qui [lui] coût “, Nobili reprend le train pour Orléans. Cette fois, la fête est amère. Sa source lui donne la certitude qu’Edith Vandendaele, cogérante d’un « culture de fruits à pépins et à noyaux » dans la Drôme, a également été employé à la canard enchaîné.
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