Mêlant déambulation unique dans Dublin, entretiens intimistes avec Bono et The Edge et séquences live où certains hymnes de U2 sont interprétés dans des versions dépouillées, ce programme arrive sur Disney+ le même jour que le nouvel album du groupe, “Songs of Surrender”.
Réalisé par l’américain Morgan Neville à la fin du travail de Bono et The Edge sur le nouvel album Chansons de reddition, qui réinvente 40 chansons du répertoire de U2, ce documentaire n’est pas uniquement centré sur ce disque. Si le programme sortira sur Disney+ le même jour que l’album, ce vendredi 17 mars 2023 (le jour de la Saint Patrick cher aux Irlandais), c’est tout autant un retour aux origines du groupe et à la l’amitié qui lie Bono et The Edge depuis l’adolescence.
Le long métrage d’une heure et demie mélange habilement des interviews intimes dans divers lieux informels de Bono et The Edge par l’animateur star américain David Letterman, 75 ans, avec une visite sélective de Dublin et des monuments commémoratifs du groupe irlandais. Le tout entrecoupé de séquences live où les nouvelles versions dépouillées d’une grande poignée de chansons sont présentées dans une modeste salle de Dublin, l’Ambassador, en décembre 2022. Voici cinq points de ce que nous en avons retenu.
1 Dublin a maintenu U2 au sol
La capitale irlandaise, où U2 s’est formé à l’université en 1976, est au cœur de ce documentaire. “Dublin fait partie intégrante de notre histoire», souligne Bono, dont les souvenirs ne sont pas forcément extatiques. “Grandir sur une île, c’était comme si l’avenir était toujours ailleurs. À Dublin, c’était comme s’il n’y avait pas de cadeau. Alors le passé ou le futur…” Bono & The Edge : une sorte de retour aux sources nous invite à découvrir Dublin à travers les yeux de David Letterman. L’animateur américain, qui s’y rend pour la première fois, apporte aussi son sens de l’humour pince-sans-rire, que Bono affectionnait particulièrement pour le film.
On se promène dans les rues animées en sa compagnie, on prend un train de banlieue, on discute de manière décontractée avec des musiciens proches de U2, et on visite la ville par le petit bout du télescope, du fromager au vendeur de casquettes, sans oublier les annonces. On va aussi à Forty Foot, un promontoire de la baie de Dublin où les Irlandais se baignent tous les jours de l’année, qu’il vente ou qu’il gèle, depuis 250 ans. Un voyage qui inspirera Bono et The Edge à écrire une chanson sur David Letterman, L’homme de quarante piedsà la fois drôle et émouvant (Nous sommes tombés sur cet homme de quarante pieds / Un colosse sur notre petite île / Nous avons failli le perdre sur Sandymount Strand / Être emporté faisait partie de son plan…)
“Ce que Dublin nous a donné, c’est un lien avec notre vie quotidienne. On a les mêmes amis qu’à 15 ou 16 ans“, salue Bono vers la fin du documentaire.”Tous les membres du groupe ont été protégés des pires excès de la renommée du rock ‘n’ roll en restant ici à Dublin“, confirme The Edge.
2 La forte dimension spirituelle de U2
Pour ceux qui ne le savaient pas, ce documentaire révélera la forte dimension spirituelle de U2. Bono et The Edge reviennent, avec des images d’archives, à leurs débuts au milieu du conflit nord-irlandais. “Ils voulaient divertir, mais pas seulement», souligne le producteur américain Jimmy Iovine, qui les connaît depuis le début des années 80. »Ils voulaient faire quelque chose qui touche les auditeurs à un niveau spirituel.” “Nous voulions exprimer notre foi», confirment Bono et The Edge, qui faisaient alors partie de Shalom, un groupe de prière chrétien avec lequel ils étudiaient la Bible.
Ils se souviennent comment les tensions entre catholiques et protestants ont inspiré l’un de leurs hymnes les plus célèbres, dimanche sanglant dimanche, composé (musique et paroles) par The Edge. “Un jour en particulier, cette rage est sortie. Cette frustration de ne pas pouvoir écrire, de ne pas savoir si je dois être dans un groupe de rock’n’roll, ce que l’avenir me réserve“, raconte The Edge qui, à 21 ans, se sentait obligé de choisir entre sa foi et la musique. Le pasteur de Shalom estimait que la musique rock n’était pas saine pour les jeunes croyants, ce qui a conduit The Edge et Bono à s’en écarter.
De cet épisode, Bono, qui place Jésus au-dessus de tout, conclut que “la religion peut aussi être un obstacle sur le chemin“, comme il l’écrit dans son autobiographie 40 chansons, une histoire. Ainsi, dans sa nouvelle version de dimanche sanglant dimanche pointe maintenant la critique, comme nous l’apprend le documentaire. Il chante maintenantLa religion est-elle désormais l’ennemie du saint esprit guide ? /(…) / Où est la victoire remportée par Jésus ?” (La religion est-elle devenue l’ennemie du guide de l’esprit saint? / (…) / Où est la victoire que Jésus a remportée?) (à la place de Nous mangeons et buvons pendant que demain ils meurent / (…) / Pour réclamer la victoire que Jésus a remportée). Cependant, qu’ils soient des années 80 ou 2022, ses paroles continuent de “pour suggérer qu’il y a un endroit transcendantal où nous pouvons aller“.
3 Le rôle crucial de The Edge
Ce n’est probablement pas voulu, mais ce documentaire nous fait sentir l’importance fondamentale de The Edge au sein de U2. Plutôt discret, en retrait derrière le charismatique Bono qui a toujours attiré l’attention, l’homme au bonnet de laine n’est pas qu’un guitariste connu pour ses harmonies et ses effets cristallins. Il est également un pianiste accompli, compositeur, arrangeur, auteur et interprète. Sur le nouvel album Chansons de redditionil est entièrement aux manettes, de l’idée aux arrangements, de l’instrumentation à la réalisation.
“La chose que je n’aime pas à propos de The Edge, c’est qu’il n’a pas besoin de moi», expose Bono au micro lors du concert à l’Ambassador à Dublin, un teasing en forme d’hommage à son ancien complice. “Il pouvait tout faire, écrire, chanter, jouer, produire, tout seul. Mais il ne le fait pas.” “Ce serait moins drôle», répond The Edge, dont on apprend qu’il a 6000 notes vocales dans son téléphone et que des idées le tirent régulièrement du lit en pleine nuit.
À un moment donné, David Letterman veut savoir comment ils composent une chanson. “Les accords sont la base de la mélodie, alors trouvez d’abord le bon accord», répond The Edge, tandis que Bono fait semblant de bâiller et conteste l’affirmation. Sur la nouvelle version de Un “c’est la même mélodie et les mêmes paroles et tu as juste changé l’accord», proteste-t-il. A quoi The Edge répond calmement, sans la moindre agacement, «on n’a pas changé les accords, on a changé la tonalité…“. Car en plus de ne jamais la ramener, The Edge dit rarement “je”. C’est le “nous” qui domine, même lorsqu’il est seul concerné. Écoutez dans le documentaire…
4 Bono “embarrasse” les autres U2
Dans un rare exercice d’autocritique, Bono avoue lors d’un entretien avec David Letterman qu’il a mis ses associés à bout. Lorsqu’on lui demande s’il embarrasse U2, il répond “Oui» sans hésiter. Souvent raillé pour sa mégalomanie, ses bons sentiments et son militantisme, le chanteur prend beaucoup de place et de libertés, même contre l’avis de The Edge, Adam Clayton et Larry Mullen Jr.
Pour arriver à ses fins, notamment dans la lutte contre le sida, il n’a pas hésité à s’allier à des élus républicains américains comme Jesse Helms, pour qui le sida était une punition de Dieu pour les homosexuels. Il l’a même invité à un concert alors que The Edge l’avait supplié de ne pas le faire. “Cela a créé beaucoup de tension», avoue Bono.C’est comme si j’avais gaspillé la valeur de ce que nous avons créé ensemble“, il ajoute. “J’ai testé leur patience.”
Bien que le groupe ait traversé quelques tensions et que tous aient envisagé de quitter le navire à un moment ou à un autre, le groupe tient toujours après 45 ans et ils en sont reconnaissants. “L’amitié est une grande partie de qui nous sommes, mais nous pourrions la perdre en cours de route. Nous y travaillons», éclaire Bono. “Nous ne sommes pas en concurrence. On se respecte” complet The Edge, complet.
5 Ce que nous avons glané sur le nouvel album
The Edge et Bono ont donc passé ces deux dernières années, rythmées par le confinement, à revisiter en secret 40 chansons du répertoire de U2, des classiques aux titres plus obscurs. Un travail commencé sans pression, juste pour voir (alors que Larry Mullen Jr se remettait et qu’Adam Clayton tournait un documentaire), qui les a rapidement convaincus qu’il “quelque chose se passait“. The Edge a finalement réarrangé les 40 chansons choisies pour l’album (divisées en 4 volumes portant chacun le nom d’un des quatre musiciens de U2) et Bono a modifié les paroles de certaines d’entre elles, qu’il considérait comme jamais vraiment terminées.
“Nous voulions pouvoir écouter nos chansons presque comme si c’était la première fois“, expliquent-ils à David Letterman. “Nous voulions les débarrasser de tout artifice. (…) Pendant la pandémie, la question était : que reste-t-il quand on enlève le superflu ?“. Le chanteur assure que “quelque chose a changé dans ma voix et dans ma façon de chanter“et qu’il adorait réécrire certaines chansons, et les enregistrer”dans le présent“.
Si ce documentaire et l’album qui l’accompagne prouvent quelque chose, c’est que U2 a composé des chansons tout-terrain qui tiennent aussi bien jouées en grand orchestre qu’avec une guitare acoustique au coin du feu ou dans un pub. Enfin, que les fans de U2 se rassurent, cette petite échappée en duo ne remet pas en cause le collectif U2 avec Adam Clayton et Larry Mullen Jr, qui ont d’ailleurs participé à certaines séances de Chansons de reddition. A la fin du documentaire, on peut lire :Un grand merci à Adam et Larry de nous avoir laissé jouer en solo sur celui-ci.« Le genre de clin d’œil affectueux qui dissipe toute ambiguïté.
Bono & The Edge : Une sorte de Retrouvailles avec Dave Letterman (1h25) sur Disney+ le vendredi 17 mars 2023