Spécialisée dans la détection de textes copiés ou trop inspirés, Compilatio équipe déjà de nombreuses universités. Mais l’entreprise s’adapte désormais à l’intelligence artificielle de ChatGPT.
C’est gratuit, rapide, polyglotte et excellent stylo : comment dissuader les élèves du monde entier de faire rédiger leurs devoirs par le robot révolutionnaire ChatGPT ? Une entreprise haut-savoyarde, spécialisée dans la détection du plagiat, a son idée.
Le succès fulgurant de ce logiciel lancé en novembre par OpenAI, une start-up américaine, a provoqué des remous dans les universités, qui craignent que la tentation de lui faire écrire des travaux non encadrés soit trop forte. Plusieurs établissements en ont déjà interdit l’usage et la résistance s’organise peu à peu.
La petite société Compilatio, près d’Annecy, saisit sa chance. Elle a bousculé ses priorités et travaille à développer rapidement un logiciel de détection d’intelligence artificielle (IA) pour les universités.
Plus de 90 % de fiabilité
Lancé en 2003, il fournit depuis des années aux enseignants un logiciel anti-plagiat qui débusque les passages copiés-collés. Commercialisée en plusieurs langues dans une quarantaine de pays, elle équipe, selon elle, 98 % des universités françaises.
Lorsque ChatGPT est apparu, “les enseignants se sont tournés vers nous car c’est une nouvelle forme de triche, c’est une affaire de plagiat”, indique son président et fondateur, Frédéric Agnès. “Aujourd’hui, n’importe quel étudiant, n’importe où dans le monde, peut produire un devoir de vingt pages en cinq minutes, c’est un impact super lourd.”
Compilatio dispose d’une technologie qui permet “de détecter dans plusieurs langues et avec plus de 90% de fiabilité la distinction IA/humain”, souligne-t-il. Un démonstrateur sur son site permet d’en faire l’expérience : testé avec une dépêche AFP, le logiciel a détecté “avec 99% de fiabilité (un texte humain).
Une bonne partie de la trentaine d’employés du groupe, dont plusieurs docteurs en informatique, travaillent sur le logiciel, actuellement encore en “mode cuisine”.
“D’ici deux mois, nous pourrons envisager d’avoir une première version”, explique la chef de produit, Laure Chabat.
“On sent qu’il y a une peur des clients. Leur apporter une solution, c’est les empêcher d’aller chercher la solution ailleurs”, souligne-t-elle.
Mesurer la prévisibilité du texte
ChatGPT a été conçu pour produire le texte le plus probable possible dans un contexte donné, un peu comme l’outil “compléter la phrase” d’un moteur de recherche, mais en plus puissant. “Il le fait tellement bien qu’on trouve ça magique”, souligne Frédéric Agnès.
OpenAI a lancé son propre outil de détection d’IA gratuit en février, mais reconnaît qu’il n’est pas entièrement fiable à ce stade.
Comment faire la différence alors ? “Un humain ne pense pas comme ça, il a des imperfections”, note Frédéric Agnès.
Le système de détection, également basé sur l’intelligence artificielle, consistera donc à « mesurer la prévisibilité du texte, son niveau de langue, la largeur du champ sémantique, des indicateurs que nous humains ne pourrons pas mesurer, mais qui produisent un signal “, explique l’entrepreneur.
Mais au-delà du “jeu du chat et de la souris technologique”, Compilatio s’engage à apporter un soutien et à promouvoir une culture de “l’intégrité dans les établissements, plus qu’à taper sur les doigts des étudiants”, insiste Frédéric Agnès.
Les logiciels anti-plagiat ont fait leurs preuves, abonde Alain Gay, enseignant à l’école d’ingénieur ISARA, également coordinateur du groupe technique sur le plagiat à l’université de Lyon.
Bonne recherche, précise et concise
Leur simple existence a provoqué “en 2-3 ans une baisse phénoménale de l’usage du copier-coller” chez les étudiants, souligne-t-il.
“Avec ChatGPT, on ne sait pas encore exactement comment on va faire, mais on va garder la même logique : former d’abord puis détection et répression, si nécessaire”, poursuit Alain Gay.
Thomas Capron, étudiant en 2ème année à l’ISARA, utilise ChatGPT “au quotidien”. “Ça permet une bonne recherche, précise et concise, sur des notions de cours (…). Mais s’en servir pour faire un devoir complet n’est pas très constructif”, reconnaît-il.
Les enseignants peuvent toujours avoir recours aux devoirs surveillés, tempère Yann Demarigny, microbiologiste, enseignant-chercheur à l’ISARA. “Il ne faut pas avoir peur. C’est un outil qui va enrichir notre pédagogie”, estime-t-il.
“A nous d’embrasser notre siècle et de nous adapter (…) Je pense que nous trouverons aussi des aspects positifs, constructifs pour la formation de nos jeunes”, conclut Alain Gay.