C’est une plongée dans les échecs de la politique énergétique de la France depuis vingt ans, une histoire d’arbitrages nationaux et de compromis européens, d’objectifs affichés et de conversations secrètes, une longue introspection sur la place de l’État, d’EDF et celle du marché dans le secteur de l’électricité. .
Depuis octobre 2022, et jusqu’en avril 2023, la commission d’enquête parlementaire sur les “raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France”, obtenue par les députés Les Républicains, auditionne de hauts fonctionnaires, les patrons successifs d’EDF, des scientifiques, d’anciens ministres et bientôt d’anciens chefs d’Etat pour tenter de comprendre les faiblesses de la France.
Comme le prévoit la loi, chacun doit jurer devant les parlementaires de “dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité” en levant la main droite. En fait, chacun présente sa vérité, et il ressort des quarante-quatre auditions déjà réalisées qu’en matière de politique énergétique, il y a beaucoup de vérités différentes.
Sur l’énergie, notamment nucléaire, diverses légitimités (scientifique, politique, entrepreneuriale) et temporalités s’affrontent. Dans le monde très masculin et souvent rude des décideurs du pouvoir, la formule la plus dure est venue de l’ancien haut-commissaire à l’énergie atomique Yves Bréchet, au bureau entre 2012 et 2018 : « La politique énergétique du pays a été décidée par un canard sans tête. »
Le physicien a déclaré avoir fourni plus de 4 000 pages de rapports différents à ses autorités tout au long de sa carrière. Il a fustigé le “zozos” Et “laquais du prince”le manque de culture scientifique des responsables politiques, le remplacement d’un “état stratégique” par “un état bavard”, pour expliquer les déboires du nucléaire en France. En 2022, les centrales ne produisaient que 279 térawattheures d’électricité, le pire résultat depuis trente ans.
Les patrons dénoncent la pression excessive de l’administration, les hauts fonctionnaires fustigent la volonté d’indépendance des PDG, les scientifiques le poids insuffisant accordé à la recherche, tandis que les hiérarques politiques insistent sur les erreurs des dirigeants.
Caractère erratique des investissements
Henri Proglio, PDG d’EDF de 2009 à 2014, très virulent pour dénoncer les erreurs des autres, explique avoir eu affaire à sept ministres pendant cinq ans : « Nous investissons sur de très longues périodes. C’est un métier où l’on gère le long terme : les investissements s’amortissent sur quarante, soixante, voire cent ans pour les barrages, non pas comptablement, mais économiquement. Travailler avec des ministres dont la “durée de vie” n’excède pas neuf mois est assez difficile à gérer. »
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