La séquence vidéo dure quelques dizaines de secondes. On y voit une femme agiter le drapeau européen contre le puissant jet d’un canon à eau. Elle est trempée et vacille, mais tient tête aux forces de l’ordre, rapidement rejointes par d’autres manifestants venus se regrouper autour d’elle. Mardi 7 mars, à Tbilissi, aucune image n’incarnait mieux l’aspiration des Géorgiens à rejoindre l’Union européenne (UE), mais aussi leur rage contre le gouvernement, qui menaçait de anéantir cet espoir en adoptant son projet de loi sur les “agents étrangers” . Le texte, calqué sur une loi russe pour faire taire les voix critiques, prévoyait de désigner sous le nom infâme d'”agents étrangers” toute ONG ou média recevant plus de 20% de son financement de l’étranger, passible d’amendes.
Le geste de Nana Malachkhia, 47 ans, a été relayé en masse sur les réseaux sociaux et a fait d’elle un symbole dans son pays, mais aussi à l’étranger. Lorsqu’une délégation européenne s’est rendue mardi à Tbilissi, l’un de ses représentants, Lawrence Meredith, a déclaré “garder cette image à l’esprit” plutôt que celle du drapeau européen brûlé devant le Parlement, le jour de sa visite, par un groupe pro-russe d’extrême droite et ultra-minoritaire, Alt Info. L’événement a été qualifié de“incident isolé”. En France, Emmanuel Macron a également évoqué la fameuse vidéo lors du sommet franco-britannique du 10 mars. “Nous avons vu des images inquiétantes ces derniers jours [en Géorgie] : une femme portant le drapeau européen bousculée, c’est un euphémisme. Tout cela ne peut pas nous laisser indifférents. » Sous la pression, le parti au pouvoir Georgian Dream a finalement renoncé à son projet de loi le même jour.
Cette soudaine notoriété met Nana Malachkhia mal à l’aise. De nature discrète, ce fonctionnaire de la mairie de Tbilissi refuse l’étiquette de“héroïne” que la presse géorgienne lui a attachée, et préfère saluer le courage de toute la population. “Ce n’est pas ma victoire, mais celle de tous les Géorgiens, elle explique. Le gouvernement a franchi une ligne rouge, car cette loi visait à saboter la perspective européenne du pays. »
“Tous réunis autour d’une même idée”
L’employée municipale, au look soigné et une sage écharpe nouée autour du cou, reçoit chez sa soeur, Nino, avec qui elle a participé à la manifestation. Elle se souvient de la colère qui l’a envahie lorsqu’elle a appris que le gouvernement venait d’adopter le texte en première lecture. « J’étais furieux ! Ils nous avaient encore menti, et en plus ils piétinaient la Constitution ! » Cela appelle, en effet, à prendre toutes les mesures pour assurer l’intégration de la Géorgie dans l’UE et l’OTAN. Nana Malachkhia insiste : elle avait lu le projet de loi avant d’aller manifester, contrairement à ce qu’affirment les radicaux pro-russes qui la prennent depuis pour cible.
Il vous reste 57,05% de cet article à lire. Ce qui suit est réservé aux abonnés.