ENTRETIEN. Guitariste Thibault Cauvin : "Bach, c’est comme un coucher de soleil, c’est pour tout le monde"

Pour la première fois, le guitariste star Thibault Cauvin nous joue Bach. Un Bach qu’il a voulu évident et simple, et c’est magnifique. Avant le concert événement du 8 mars au Théâtre du Châtelet à Paris, qui marque ses vingt ans de carrière, il nous a raconté la genèse de son dernier album.

L’album s’appelle Bach, tout simplement. Pour la première fois, le guitariste classique français Thibault Cauvin s’attaque à un compositeur qui lui a longtemps fait peur. En jouant Bach, le musicien débordant d’énergie, qui passe sa vie à parcourir le monde, a voulu lui exprimer un sentiment nouveau, la sérénité. Cette musique, il l’a voulue universelle et accessible, souhaitant l’offrir à tous. Élaborée et simple à la fois, claire et sans effets, sous ses doigts la musique semble couler naturellement.

C’est sur le fameux Toccata et Fugue en ré mineur BWV 565 qui ouvre le disque publié par Sony Classical. Les notes résonnent, pures et puissantes. Cette pièce majestueuse a été composée pour orgue. A l’entendre joué par Thibault Cauvin, il semble pourtant qu’il ait été écrit pour la guitare.

La Chaconne, “un océan dans l’océan”

Thibault Cauvin se décrit comme hyperactif. A 20 ans, il avait remporté 36 prix internationaux dont 13 premiers prix. Pendant plus de 15 ans, il parcourt le monde de New York à Shanghai, offrant un millier de concerts en solo dans 120 pays, enregistrant une dizaine d’albums. Et puis, depuis peu, il découvre une nouvelle sensation, la sérénité. “Depuis quelques temps, je découvre avec bonheur et délice les prémices de ce sentiment.” Quand il fait un disque, ce n’est pas une musique en particulier qui le guide, dit-il, “c’est un sentiment, un rêve, une histoire que j’ai envie de raconter. Ensuite, je trouve la musique qui sert cet état”. Là, il a “Je voulais faire un disque qui reflète ce nouveau sentiment, qui invite à la paix, à la douceur et à la sérénité”. “Et la musique de Bach s’est imposée à moi”il a dit.

“Je joue du Bach depuis que je suis petit mais ce n’était jamais par choix, c’était toujours pour des examens au conservatoire. C’était un monument, je me sentais tout petit.” Pour Thibault Cauvin, Bach est comme l’océan sur lequel il aime tant surfer : il fascine et fait peur à la fois.. “C’est extraordinaire, on a l’impression de faire une transat en solitaire. On sait qu’on va vivre de beaux moments mais on a quand même un peu peur.”

Il décide donc de jouer du Bach, sans savoir quelle oeuvre précisément. “La deuxième chose qui m’a marqué, c’est la Chaconne, ce morceau de 15 minutes qui est comme l’océan dans l’océan. C’est tellement grandiose qu’il est souvent isolé”, du reste de la Partita 1 pour violon, remarque-t-il. C’est donc l’ensemble des cinq mouvements qu’il nous propose. C’est autour d’elle qu’il a construit le disque. Quarante minutes de bonheur, où Bach semble nous emmener toujours plus loin, sur des chemins inattendus.

Jouez du Bach pour perdre la notion du temps

Lorsqu’il se replonge dans cette musique, Thibault Cauvin perd la tête, perd la notion du temps, oublie les rendez-vous. “C’est magique, ça m’a donné des effets que je n’avais jamais ressentis auparavant.”

“Il y a un côté très intellectuel, savant et brillant dans cette musique, mais il y a aussi un côté très simple et universel, comme un coucher de soleil”, il croit. “Et qui que vous soyez, où que vous soyez, si vous vous asseyez, éteignez votre téléphone portable et vous donnez dix minutes pour regarder, vous êtes émerveillé.” Pour lui, la musique de Bach, c’est la même chose. Il a voulu l’offrir à tout le monde, il espère toucher tout le monde : « Un grand fan de toujours qui connaît les partitions par cœur, une jeune fille de 17 ans qui aime le punk ou un de mes potes surfeurs… Je pense qu’écouter la musique de Bach fait monter les larmes aux yeux de tout le monde.

“Même moi, je suis fils de rockeur au départ et quand j’étais petit, je me disais que Bach c’était pas pour moi. Mais en fait c’est pour les mecs des villes, c’est pour les skateurs, les agriculteurs, les banquiers, les architectes, c’est pour tout le monde.”

Jour et nuit dans une petite chapelle en Dordogne

Ces partitions, bien sûr, Bach ne les a pas écrites pour la guitare, elles ont dû être réarrangées et Thibault Cauvin l’a fait lui-même. C’est la simplicité que recherchait le virtuose que nous connaissons. “Quand j’avais 20 ans, je voulais impressionner. Et maintenant, c’est tout le contraire. Je ne voulais pas que les gens pensent à aucun moment que ça a l’air dur. Je voulais que les gens oublient la guitare. Je voulais qu’elle sonne super fluide .Quand j’ai repris ce morceau pour violon, je voulais qu’il sonne naturel à la guitare.Bien sûr ce n’est pas facile mais je ne voulais pas qu’on l’entende.Alors je n’ai pas hésité à changer des choses, à enlever un peu notez que vous n’entendez pas vraiment et cela vous fait perdre plus que vous ne gagnez. Et puis très souvent, il y a des mouvements qui sont joués très rapidement. Je ne me sentais pas comme ça. Il y a des passages rapides bien sûr , mais j’ai préféré ne pas jouer trop vite.”

Le résultat est que, effectivement, la musique semble couler naturellement, c’est clair et ample. “Et aussi quelque chose de très important, je ne voulais pas jouer dur”dit Thibault Cauvin. “En concert, je capte les gens un peu comme un rockeur, j’y mettais toute mon énergie. Là je voulais un son accueillant et doux. Comme une grand-mère qui raconte une histoire. J’enregistrais au casque, et je mettais le son très fort , essayer de jouer comme on murmure à l’oreille.”

L’enregistrement, il l’a fait en Dordogne, près de l’endroit où il passait ses vacances de petit garçon, chez sa grand-mère justement. Pour “redécouvrir la sagesse de l’enfance, quand on se promène dans un champ et qu’on ne se pose pas de questions”. Un ami lui a montré une très petite chapelle, dans un petit village. Il a commencé à jouer et le son l’a conquis. Il y retourne quelques semaines plus tard pour enregistrer. “J’ai joué du Bach jour et nuit pendant une semaine dans cette chapelle, en perdant à nouveau la notion du temps. Avec Cécile Lenoir, la réalisatrice du disque, qui faisait un son somptueux, qui m’a guidée. C’était fabuleux, on jouait à la chandelle à trois heures du matin. Je me souviendrai de cet enregistrement toute ma vie. Il y avait 14 micros. C’est ce que j’aime, un mélange entre l’artisanat, le côté magique de ce son somptueux créé on ne sait trop par quoi, par le siècle -la vieille pierre, le bois des chaises. Et ces 14 micros ultramodernes.”

Bach autrement

Guitariste classique, Thibault Cauvin a toujours une oreille tournée vers la musique contemporaine, qui l’a bercé tout au long de son enfance. Son père Philippe Cauvin, qui a mis une guitare dans ses mains très jeune, est un “rocker”. Il a collaboré avec de nombreux artistes, d’Erik Truffaz à Matthieu Chedid, dans son disque Villes II (Sony Music, 2018), il a repris des musiques de film dans son avant-dernier album (FilmsSony Musique, 2021): “Je me revendique toujours trentenaire aujourd’hui”, il a dit.

Ainsi, dans cet album dédié à Bach, “Je n’ai pas pu m’empêcher d’être pris par moi-même”, il rit. Il a voulu inclure une parenthèse plus actuelle, car il pense “l’âge d’or de la guitare c’est aujourd’hui”. Pour lui, “Les luthiers et les interprètes n’ont jamais été aussi bons, les compositeurs n’ont jamais été aussi nourris par l’éclectisme de notre instrument”. Il a donc demandé à son frère Jordan Cauvin de “recomposer” trois préludes de Bach.

“Je travaille beaucoup avec mon frère, j’adore ça, on est en totale osmose.” Mais il a catégoriquement refusé le projet. “C’est absolument impossible, on ne recompose pas la musique de Bach”, lui a-t-il rétorqué en raccrochant au nez quand il a insisté. Après une nouvelle tentative, Thibault Cauvin n’a plus eu de nouvelles. « Et puis deux mois plus tard, il m’envoie trois partitions que je trouve vraiment sublimes. D’habitude il y a une partie de ping-pong entre nous. Mais là c’était parfait, je n’ai pas changé une note.

Les trois partitions renommées Bach autrement s’inspirent de pièces connues, pour ne pas dire populaires, le premier (BWV 846) et le dixième (BWV 855a) préludes du Clavecin bien tempéré, et le prélude de la première suite pour violoncelle (BWV 1007). Sur un morceau, l’harmonie est préservée avec une ambiance rythmique différente, sur un autre, une chanson a été ajoutée… A priori, on pourrait avoir des doutes. Et ça marche très bien. Cela confirme l’universalité de Bach, qui peut être appropriée à l’infini.

“En plus, ce n’est pas difficile à jouer”dit Thibault Cauvin, qui pense aux guitaristes amateurs passionnés pour qui ils sont, selon lui, accessibles : “C’est beau et c’est amusant à jouer”, il se réjouit, alors que Bach est réputé difficile à jouer à la guitare.

En concert au Châtelet le 8 mars, au studio des Champs-Elysées en décembre

Pour fêter ses vingt ans de carrière –”mes vingt ans de marche”-, préfère-t-il dire, Thibault Cauvin est au Théâtre du Châtelet le 8 mars, pour un concert exceptionnel qu’il a lui-même produit. UN “rêve d’une vie” qui se réalise, pour le “petit bonhomme de la banlieue bordelaise”, comme il se décrit, toujours émerveillé par Paris. Au programme, il jouera Bach avant de nous emmener en voyage vers diverses musiques qui lui tiennent à cœur. Il recevra sur scène le guitariste électrique Yarol Poupaud, la trompettiste Lucienne Renaudin Vary, la danseuse Olivia Lindon, puis d’autres invités surprises. “Mon rêve est que cette soirée marque, qu’on s’en souvienne tous.” A l’heure où ces lignes sont écrites, il est presque terminé, il ne reste que quelques endroits à visibilité réduite.

Thibault Cauvin, “BACH”, Sony Music.

Thibault Cauvin sera au Studio des Champs-Elysées pour jouer Bach (Thibault Cauvin, Bach intimiste) avec une série de concerts les mardis 5, 12 et 19 décembre.

Puis aussi le 11 mars à Chamalières, le 26 à Verdun, le 28 à Limoges, le 29 à Saint-Rémy-de-Provence, le 30 à La Garde, le 31 à Berre-l’Etang.

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