« La grandeur de la France exige sa présence dans l’espace. » En 1961, conscient de l’importance stratégique du cosmos, le général de Gaulle fixe au pays l’objectif de devenir la troisième puissance spatiale, après les Russes et les Américains. Une ambition qui conduira au lancement réussi du programme de fusée Ariane, dix ans plus tard, garantissant à l’Europe sa souveraineté, en lui donnant son propre accès à l’espace.
Mais, aujourd’hui, cette autonomie est menacée, faute de lanceurs. La future Ariane-6 a déjà plus de trois ans de retard, son lancement inaugural ayant été reporté au dernier trimestre 2023. Sa petite sœur Vega-C a raté son premier lancement commercial le 20 décembre et a dû être détruite en vol. Les missions reprendront une fois les causes de la panne analysées et les actions correctives mises en place.
Arianespace, la société qui commercialise et gère les vols, va donc se retrouver pendant plusieurs mois sans nouvelle fusée. Les clients privés sont susceptibles de se tourner vers des lanceurs américains ou indiens. L’absence prolongée de solution européenne compliquerait la tâche des gouvernements, qui ne veulent pas confier la mise en orbite de satellites militaires à des firmes étrangères.
L’ambition de l’Europe spatiale de rester dans la course face aux Américains et aux Chinois est sérieusement remise en cause. Son modèle de fonctionnement aussi, puisque l’espace, domaine longtemps réservé aux grandes agences nationales, a été bousculé par Elon Musk. Avec SpaceX et ses fusées Falcon, le milliardaire américain y impose ses règles depuis dix ans. Tout est plus rapide, moins cher et ses fusées sont réutilisables.
La question du « retour géographique »
Cette agilité contraste avec la lourdeur des processus européens, souvent source de retards et de surcoûts. Face à l’offensive SpaceX, l’Agence spatiale européenne (ESA) a réagi en lançant, en décembre 2014, les programmes Ariane-6 et Vega-C. Mais elle l’a fait sans changer son organisation et surtout en maintenant sa règle de « retour géographique », une pratique consistant à réattribuer à chaque État une charge industrielle équivalente à sa contribution financière. Un pays peut ainsi obtenir qu’une de ses entreprises participe à un projet, même si elle n’est pas la plus performante dans son domaine. Cela lui permet aussi d’acquérir des technologies, comme ce fut le cas pour l’Allemagne et l’Italie face à la France.
Cette règle est de plus en plus lourde face aux multiples projets des start-up et notamment des milliardaires américains Elon Musk et Jeff Bezos. D’autant que les initiatives se multiplient, nécessitant des réactions rapides.
Dernier exemple : la diffusion de l’Internet haut débit depuis l’espace. Elon Musk s’est imposé avec sa constellation de satellites Starlink. En le mettant à la disposition des Ukrainiens, dès le début de la guerre contre la Russie, et maintenant de la société iranienne en révolte, il démontre l’importance vitale d’un tel outil de communication.
En réponse, pour ne pas dépendre d’un acteur privé et être autonome, l’Union européenne a annoncé mi-novembre le lancement de son propre réseau ultra-sécurisé, baptisé Iris².
Afin de tenir un calendrier très serré prévoyant la mise en service de cette constellation à partir de 2027, Bruxelles a décidé de renoncer au “retour géographique” de l’ESA dans ses appels d’offres, au profit de la compétence technique des constructeurs, de l’innovation et de l’efficacité. Une première, qui doit impérativement être un succès et devenir la norme applicable à tous les programmes spatiaux. La souveraineté européenne est en jeu.