Michel Debré (1912-1996) n’imaginait sans doute pas à quel point le qualificatif choisi pour évoquer le Sénat dans sa présentation du Ve République devant le Conseil d’Etat le 27 août 1958 – ce « deuxième chambre puissante » – sonnerait vrai en 2023. Jamais, en effet, l’influence du Palais du Luxembourg n’a semblé aussi déterminante qu’en début d’année dans la gestion de l’épineuse réforme des retraites.
Par une conjonction de facteurs, le mouvement d’horlogerie habituel de nos institutions a, en effet, été réinitialisé, au point qu’il n’est plus excessif d’évoquer un bicamérisme réorienté.
Craignant l’obstruction de La France insoumise (LFI) au Palais-Bourbon et incertain des choix des Républicains (LR), le gouvernement avait décidé d’utiliser un projet de loi de financement rectificatif de la Sécurité sociale comme véhicule législatif.
Il espérait ainsi contrôler le cours parlementaire du texte en astreignant les débats à un calendrier drastiquement serré tout en surmontant l’hostilité syndicale. Il croyait, avec la maîtrise du temps, assurer le succès.
Premier succès
Hélas, son talent s’est retourné contre lui. À l’Assemblée nationale depuis une semaine, il a perdu la main. Ce qui devait être l’Austerlitz du Premier ministre est devenu sa campagne de Russie.
Non seulement, impuissante, elle a subi les attaques répétées et violentes des députés LFI, mais en plus, la cacophonie née dans les rangs LR lui a fait perdre tout espoir de rassembler une majorité suffisante pour éviter le recours à un nouveau 49.3. En plus, à sa détermination, les syndicats ont unanimement su opposer une attitude responsable, validée par la succession de journées d’action confirmant le rejet constant de l’opinion publique.
Ainsi, insensiblement, l’évidence s’installe : la réforme ne peut s’écrire à l’Assemblée. Dès lors, alors que, selon la Constitution, le Sénat ne peut jamais imposer son choix à un gouvernement, le pouvoir exécutif est désormais amené à espérer son salut à son bon vouloir.
Gérard Larcher et Bruno Retailleau peuvent savourer ce premier succès. La force de la deuxième chambre tient en effet à la permanence de ses votes. Puisque, depuis plusieurs années, la majorité sénatoriale vote le report de l’âge de la retraite à 64 ans, elle détient de facto l’issue du projet de loi. Et quand le groupe LR se fracture à l’Assemblée, sa cohésion remarquée au Sénat permet à son président de s’exprimer clairement pour imposer les ajustements attendus.
L’élément stabilisateur de nos institutions
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