La biologie moléculaire passe de l’autre côté du miroir

jeimaginez un univers dans lequel les vis sont serrées en tournant dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Dans ce monde inversé, les boulons et les écrous seraient des images miroir de ceux que nous utilisons le plus souvent. Des réflexions en tous points semblables mais pas identiques, car incompatibles entre elles : impossible, en effet, de visser un boulon de l’univers « de gauche » dans un écrou de l’univers « de droite ».

Au niveau moléculaire, la situation est similaire pour les principaux composants biologiques qui composent nos cellules et assurent leur fonctionnement. Le squelette moléculaire de l’ADN et de l’ARN, par exemple, est constitué de sucres de forme moléculaire droite. Une conséquence de cette asymétrie est que les fils d’hélice d’ADN se tordent vers la droite. De même, les protéines sont également orientées.

Lire notre sondage (avril 2018) : Article réservé à nos abonnés L’asymétrie est à l’origine de la vie

Pourrait-on concevoir un système biologique miroir, dans lequel ADN, ARN et protéines auraient l’orientation opposée à celle dans laquelle l’ensemble du monde vivant est engagé ? C’est théoriquement possible, puisque l’on sait synthétiser artificiellement les composés basiques nécessaires tant sous leur forme droite que gauche, et les assembler en chaînes de quelques dizaines à centaines d’unités. La difficulté pratique est d’orchestrer ces molécules pour reconstituer leurs fonctions biologiques : l’ADN doit être copié à l’identique pour se perpétuer, ce qui nécessite des protéines appelées ADN polymérases ; puis, transcrit en ARN messager, par une ARN polymérase ; et, enfin, l’ARN messager est lu et traduit par des ribosomes (constitués de plusieurs molécules d’ARN, et de plus de cinquante protéines), assistés d’ARN de transfert, pour fabriquer des protéines. La principale contrainte est le filetage : comme pour les boulons et écrous incompatibles, comment copier l’ADN de gauche si seules des ADN polymérases capables de lire l’ADN de droite sont disponibles ? Comment obtenir des polymérases miroirs, si vous n’avez que les bons ARN messagers, les bons ribosomes, etc. ?

Petit ARN comme sondes

Ce problème d’enfilage implique de pouvoir, au moins pour démarrer la machine, produire artificiellement tous les constituants du miroir. Un exploit que le laboratoire dirigé par Ting Zhu à la Westlake University (Hangzhou, Chine) est en passe de réaliser. Dans une précédente étude, l’équipe avait synthétisé in vitro un ADN gauche assez long ainsi que l’ADN polymérase miroir capable de le copier.

Dans un nouvel article encore plus impressionnant, un doctorant, Yuan Xu, s’est attaqué au cas de l’ARN. Elle a d’abord synthétisé une ARN polymérase miroir – une tâche complexe, en raison de la très grande taille de cette protéine, qu’elle a pu réaliser en décomposant la polymérase en plusieurs modules coopérants. Cela lui a permis de transcrire des molécules d’ARN gauche de différentes fonctions à partir de l’ADN gauche : ARN ribosomiques, ARN de transfert et petits ARN à fonction sonde qui deviennent fluorescents lorsqu’ils se lient à des composés spécifiques. Le prochain défi sera de synthétiser toutes les protéines ribosomales miroirs, afin de reconstituer des ribosomes miroirs capables de traduire les ARN messagers gauches en protéines miroirs.

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