CONTREComme le don, le prêt est une pratique aussi ancienne que l’humanité, bien avant celle de l’argent. Et le prêt est une question de confiance et de projection. L’irrationnel de la psychologie et le rationnel de l’anticipation. La banque californienne SVB aurait pu survivre sans la défiance brutale et désordonnée de ses déposants, qui ont retiré leur épargne en masse. Mais elle aurait aussi pu s’en tirer si elle n’avait pas investi toutes ses économies dans des prêts à long terme sans penser à les protéger de la menace d’une hausse des taux d’intérêt.
La psychologie, c’est Michael, le petit garçon du film Mary Poppins qui déclenche inconsidérément une panique bancaire quand il hurle “Rendez-moi mon argent!” » au vieux banquier qui voulait voler son argent de poche pour investir dans les glorieuses réalisations de l’Angleterre victorienne.
Témoins de la scène, les clients en haut de forme ont soudain peur pour leurs économies et veulent les récupérer immédiatement, comme les start-up clientes de la Silicon Valley Bank. Les financiers appellent cela une crise de liquidité, lorsqu’une demande immédiate de remboursement ne peut plus être satisfaite. Aujourd’hui, c’est la faillite de cette petite banque de province qui, comme le jeune Michael, fait peur à tous les financiers de la planète, dont la confiance dans le système s’envole.
Un danger évident mais ignoré
Car derrière l’irrationalité de la réaction se cache toujours un fond de vérité. Et celui-ci prend l’étrange forme d’un rhinocéros gris. C’est énorme et menaçant, mais ça fait si longtemps que ça existe… La preuve, ça ne bouge pas. Jusqu’au jour où il décide de se lancer. Ce concept de danger évident mais ignoré a été inventé par l’essayiste américaine Michele Wucker en 2016.
Le chef économiste de la société financière Atlantic Financial, Bruno Jacquier, a sommé cette bête sauvage d’expliquer, dans une note de janvier, pourquoi les grandes banques, jusqu’à récemment, ne s’inquiétaient pas des conséquences de la hausse des taux sur le système financier actuel, construit sur une dette colossale, celle des ménages, des entreprises et des États.
Il représentait 120 % du produit intérieur brut mondial en 1981. Il atteint aujourd’hui 250 %. Or, contrairement à la crise de 2008, la question n’est plus celle de la liquidité ou du crédit, mais celle des taux d’intérêt qui, en augmentant fortement sous l’impulsion des banques centrales, font monter le coût de la dette, tant privée que publique. Nous avons tellement pris l’habitude de vivre à côté de ce rhinocéros gigantesque et paisible. Certains affirmant même qu’il avait été définitivement domestiqué. Aujourd’hui, la bête se réveille.