L’administration Biden prépare-t-elle une révolution pour le système bancaire américain ?

[AVIS D’EXPERT] L’exécutif américain veut nommer Saule Omarova au poste de contrôleur de la monnaie. Cependant, il propose de bouleverser le fonctionnement du système bancaire. Décryptage avec notre expert Guillaume Almeras, fondateur du site de suivi et de conseil Score Advisor.

Vue de ce côté-ci de l’Atlantique, la polémique actuelle autour de la nomination par Joe Biden de Saule Omarova au poste de Contrôleur de la Monnaie est assez surréaliste, puisqu’elle porte sur la question de savoir si une femme affichant ouvertement des idées communistes – nous n’exagérons guère, vous verrez – est vraiment la bonne personne pour superviser les banques américaines.

Cela peut sembler particulièrement drôle mais, dans une telle position, les choix ne se font évidemment pas au hasard. Aussi convient-il d’être attentif aux idées défendues par le nouveau Contrôleur de la Monnaie. Et il est surprenant que l’affaire ne trouve pas plus d’écho en France.

Au sein du département du Trésor américain, l’Office of the Comptroller of the Currency (OCC) réglemente et supervise les banques et les institutions d’épargne aux États-Unis. Pour les connaisseurs, son rôle est assez comparable à celui exercé en France par le Comité des établissements de crédit et des entreprises d’investissement (CECEI), avant son absorption dans l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution). Quoi qu’il en soit, l’OCC est un élément clé du paysage financier américain.

A sa tête, Joe Biden a donc officiellement nommé Saule Omarova, professeur de droit à l’université Cornell, début novembre. Mais cette nomination doit encore être approuvée par le Sénat, où elle soulève de nombreuses objections au sein du Parti démocrate lui-même.

Confier à la Fed la gestion de tous les comptes bancaires

Le fait est que Mme Omarova ne mâche pas ses mots sur les banquiers, qu’elle les traite ouvertement d’escrocs et de profiteurs et à qui elle assimile également les fintechs – sans parler des acteurs du marché des cryptomonnaies (hormis les monnaies numériques des banques centrales).

Aux États-Unis, on est considéré comme communiste pour bien moins que cela. Mais, dans le cas de Saule Omarova, cela n’est pas nécessaire, car elle ne le cache pratiquement pas. Née en Union soviétique, au Kazakhstan, elle est diplômée de l’Université d’État de Moscou en 1989 avec une thèse sur l’analyse économique de Karl Marx et la théorie de la révolution dans le capital. Une thèse qu’elle ne nie pas vraiment, s’étouffe Fox News.

C’est encore un peu beaucoup, sans doute. Même en France, où l’on est beaucoup plus familier avec les idées marxistes, nommer Arlette Laguiller à la tête de la Banque de France aurait été pour le moins surprenant. Alors pourquoi l’administration Biden a-t-elle choisi une telle personnalité ? Saule Omarova dit qu’elle veut mettre fin à la banque telle que nous la connaissons (« pour mettre fin à la banque telle que nous la connaissons »). Est-ce une idée avec laquelle l’administration Biden joue également ? Ou sa nomination est-elle simplement une mesure pour satisfaire l’aile la plus progressiste du Parti démocrate ?

Il y a un an, Saule Omarova publiait un document : The People’s Ledger : How to Democratize Money and Finance the Economy. Elle propose de confier à la Fed la gestion de tous les comptes bancaires. En ce sens, tout le fonctionnement de la Fed devrait, selon elle, être repensé pour être basé sur un People’s Ledger. Ce qui peut littéralement se traduire par « grand livre populaire », sachant que « grand livre » fait évidemment référence à la blockchain, souvent qualifiée de « grand livre distribué ».

Monnaies numériques de la banque centrale

Il s’agirait d’une plateforme unique, administrée par la Fed et gérant toutes les activités de base des banques : gestion des comptes, crédits, dépôts des entreprises et des particuliers. Il est même précisé qu’au passif, les comptes en banque centrale remplaceraient – ​​plutôt qu’en concurrence – les dépôts bancaires privés.

Il ne s’agirait donc pas d’une nationalisation des banques. Ceux-ci disparaîtraient. En tout cas, les plus grands, certains petits établissements et coopératives de crédit qui peuvent assister la Fed (et sont payés par elle) dans le rôle de banquiers locaux. C’est la monnaie qui serait en quelque sorte nationalisée.

Une perspective décourageante ? A chacun de juger. Il y a quelques mois, dans ces colonnes, traitant du sujet des monnaies numériques des banques centrales, nous soulignions que, bien que semblant encore assez inaccessible techniquement, la perspective de remplacer les banques commerciales par des banques centrales était sans doute la seule véritable utilité que l’on pouvait trouver à ces nouvelles monnaies. Le projet que tous les grands pays poursuivent aujourd’hui.

Par Guillaume Alméras, fondateur du site de suivi et de conseil Score Advisor

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