Le choléra dans le monde : les raisons de la pénurie de vaccins

Le choléra menace près d’un milliard de personnes dans le monde, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Au Moyen-Orient avec la Syrie et, potentiellement, le sud de la Turquie, où les conditions de vie se sont fortement dégradées après les violents tremblements de terre de février, en Haïti, en Asie et sur le continent africain, le Malawi en tête. L’Afrique du Sud, justement, a déclaré, jeudi 23 février, la mort d’un homme de 24 ans, une première pour la deuxième économie du continent qui n’avait, depuis quinze ans, connu aucun décès lié à la bactérie. Vibrio cholerae, considérée comme une maladie de la pauvreté. Depuis le début du mois, cinq cas de contamination par des vibrions ont été enregistrés.

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Le chef de l’agence des Nations Unies, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a réaffirmé sa préoccupation au début du mois concernant les capacités d’approvisionnement en vaccins contre le choléra qu’il a décrites comme “très limité”. Actuellement, 23 pays dans le monde sont confrontés à une épidémie, mais une vingtaine de pays voisins pourraient à leur tour être touchés. En 2022, 31 d’entre eux ont été touchés par des épidémies de choléra et le nombre de victimes a dépassé celui accumulé au cours des cinq années précédentes. Sur le continent africain, de loin le plus touché, entre mars 2022, début de la crise du choléra, et fin janvier, 106 000 cas de contamination et près de 3 000 décès ont été déclarés. Les chiffres que l’on sait sont sous-estimés, faute, pour certains pays, de systèmes efficaces de suivi et de collecte de données.

Face à cette montée en flèche, l’International Vaccine Supply Coordination Group (ICG) a pris la décision le 19 octobre 2022 de modifier le calendrier de vaccination contre le choléra de deux à une dose unique, malgré la moindre protection que cela implique. Une mesure d’urgence, annoncée comme temporaire, prise pour permettre à un plus grand nombre de personnes d’être vaccinées.

Concurrence entre maladies

La majorité de la production de sérum anti-choléra est désormais achetée par GAVI, l’Alliance du vaccin, qui finance notamment le stock d’urgence qui doit être constitué en permanence de 5 millions de doses pour faire face aux crises qui surviennent. Cependant, “en moyenne, seulement 2,5 millions de doses sont produites chaque mois et tous les vaccins sont attribués presque immédiatement », déplore Philippe Barboza, chef d’équipe de l’OMS pour le choléra et les maladies diarrhéiques épidémiques. En effet, les données mises en ligne par l’UNICEF indiquent que seulement un peu plus de 2 millions de vaccins sont actuellement disponibles.

Depuis le début de cette année, d’importantes cargaisons ont été envoyées au Kenya, au nord-ouest de la Syrie, en République démocratique du Congo et au Mozambique, ce qui explique le niveau actuel des stocks, mais nous attendons la livraison de 1,5 million de doses la semaine prochaine avec d’autres prévues pour les semaines à venir », explique une porte-parole de GAVI, soulignant qu’elle n’a jamais eu “dire non à un pays qui demande une livraison d’urgence”.

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Depuis le 1euh En janvier 2022, selon les données de l’OMS, un peu plus de 30 millions de vaccins contre le choléra ont pu être distribués dans le monde, alors que près de 63 millions avaient été demandés par les pays et 40 millions alloués par l’ICG, qui gère la distribution aux États.

La pénurie actuelle a été provoquée par la forte résurgence du choléra depuis 2021, résultat de la conjonction de différents facteurs, des catastrophes naturelles liées au changement climatique – inondations mais aussi augmentation des sécheresses – à la pandémie de Covid qui a mis les systèmes de santé sous tension. et a fini d’affaiblir les plus vulnérables, provoquant aussi la concurrence avec les autres maladies infectieuses pour lesquelles les moyens financiers et humains ont été fortement réduits depuis près de trois ans. La situation début 2023 est ainsi très éloignée de celle imaginée par GAVI dans sa dernière feuille de route sur l’approvisionnement en vaccins contre le choléra, réalisée en 2018 et bientôt mise à jour.

Au centre de santé de Ndirande à Blantyre, dans le sud du Malawi, le 16 novembre 2022. Pour faire face à la pénurie mondiale de vaccins contre le choléra, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a recommandé de réduire la vaccination à une dose, contre deux habituellement, pour pouvoir se protéger plus de gens.

L’institution projetait alors une production annuelle dépassant les 80 millions de doses en 2023, notamment grâce à une diversification des producteurs du vaccin oral, qui n’étaient alors que deux. Mais aujourd’hui la production mondiale ne repose que sur un seul laboratoire, le sud-coréen EuBiologics, la filiale indienne de Sanofi, Shanta Biotechnics, ayant abandonné sa production fin 2022. Selon Philippe Barboza, le directeur général de l’OMS aurait lui-même écrit au laboratoire français pour lui demander de “reconsidérer cette décision qui a un impact négatif sur la disponibilité du vaccin”.

“Quand on veut on peut”

Le vaccin contre le choléra n’a été validé par l’OMS comme outil de première ligne pour la riposte aux épidémies qu’en 2017, il s’agit donc d’un marché relativement jeune et considéré comme peu attrayant. En effet, cette vaccination est principalement “réactif”c’est-à-dire déployés en réponse à une épidémie et non en prévention. « La conséquence en est que la demande est très fluctuante : 60 millions de doses auraient été nécessaires en 2022, mais beaucoup moins les années précédentes, donc c’est très difficile à gérer pour un industriel », explique Alain Alsalhani, pharmacien responsable de la cellule d’accès aux médicaments essentiels de l’ONG Médecins sans frontières (MSF). De plus, les vaccins sont des produits biologiques plus complexes à produire que les comprimés, ce qui réduit le nombre de pays ayant la capacité de les fabriquer.

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On peut se demander si le développement de nouvelles sources de vaccin contre le choléra est une réelle priorité pour les bailleurs de fonds, demande pourtant le pharmacien. L’exemple du Covid, pour lequel un vaccin a été développé et fabriqué mondialement pour atteindre 12 milliards de doses deux ans seulement après la découverte de la maladie, montre que quand on veut on peut. »

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Fin 2022, le laboratoire sud-africain Biovacs a annoncé vouloir se lancer dans le développement et la production d’un vaccin oral contre le choléra en collaboration avec l’International Vaccine Institute (IVI). Le laboratoire pourrait produire les premiers lots destinés aux essais cliniques, nécessaires à l’obtention des autorisations sanitaires et de la préqualification par l’OMS, en 2024. “Nous saluons cette annonce, mais il faudra attendre quelques années avant que les doses n’arrivent sur le marché”commente Philipe Barboza, qui évoque également une demande de préqualification d’Eubiologics pour ” un nouveau vaccin avec la possibilité d’augmenter la production ». Un autre laboratoire, indien, serait également en lice. Une nouvelle encourageante mais qui ne résoudra pas la situation à court terme.

Approche préventive

La disponibilité totale de doses pour 2023 étant estimée par l’OMS à 36 millions, comme en 2022, il est plus que jamais nécessaire d’agir en amont afin de limiter les flambées épidémiques. Cela passe notamment par des campagnes de vaccination préventive. En plus d’améliorer la protection des populations les plus à risque, cette approche préventive pourrait également créer une demande de dose stable et facile à anticiper.

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“Plus de campagnes préventives sont planifiées, plus nous pouvons travailler avec des fournisseurs pour augmenter la production de vaccins”, insiste GAVI. Ce changement de paradigme dans la réponse au choléra s’est concrétisé l’an dernier dans 13 pays particulièrement touchés par la maladie et sera déployé dans d’autres zones dans les prochaines semaines. Reste à savoir si une demande de doses plus stable et plus facile à anticiper pourra rassurer industriels et investisseurs, sans qui la lutte contre le choléra pourrait devenir de plus en plus problématique.

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