Chaque jour, une personnalité s’invite dans l’univers d’Élodie Suigo. Aujourd’hui, la réalisatrice, documentariste, journaliste et photographe américaine Laura Poitras. Ce mercredi 15 mars 2023 sort en salles son film documentaire “Toute la beauté et le sang versé” qui a reçu le Lion d’or à la Mostra de Venise en 2022.
Laura Poitras est une réalisatrice, documentariste, journaliste et photographe américaine. C’est ce qu’on appelle une cinéaste engagée. En 2015, elle reçoit l’Oscar du meilleur documentaire pour son film, Citoyenfour, qui retraçait les révélations d’Edward Snowden. Elle est également la grande gagnante de la 79e Mostra de Venise pour Toute la beauté et le sang àé, salué au milieu d’un lion d’or.
Ce mercredi 15 mars 2023 sort au cinéma ce documentaire, Toute la beauté et l’effusion de sang dans lequel elle s’attaque avec la photographe Nan Goldin aux responsables de la crise des opioïdes, qui a fait plus de 500 000 morts aux États-Unis en 2010.
franceinfo : Ce film est un savant mélange entre un portrait de la photographe new-yorkaise et des témoignages de son combat contre la richissime famille Sackler, à la tête du géant pharmaceutique Purdue Pharma, responsable de la crise des opioïdes avec la commercialisation d’OxyContin, dont elle était bien consciente des dangers de la dépendance vis-à-vis des patients. Ce documentaire à travers elle est-il une leçon de vie et un message d’espoir ?
Laure Poitras : Vous savez, pour moi, ce film vient dans le prolongement de mon travail sur l’empire américain, le pouvoir et les gens qui décident de le combattre en prenant des risques. C’est donc merveilleux d’être ici. Je sais que le travail de Nan est très aimé, très respecté en France et qu’elle y est très enracinée.
>> Crise des opioïdes : qui est Nan Goldin, cette photographe qui se bat contre les fabricants d’OxyContin ?
Courage, Nan Goldin l’avait. Elle a commencé ce combat contre la famille Sackler, une famille de mécènes très essentielle dans le monde de l’art. On a le sentiment, au tout début d’ailleurs, que rien ne va être possible et à la fin, même s’ils ne sont pas condamnés au pénal, ils finissent par tomber. Ils finissent souvent par tomber nez à nez avec leurs victimes.
Oui, il y a eu beaucoup de silence de la part des institutions. Et comme elle-même avait réussi à vaincre cette addiction à l’OxyContin, elle savait que c’étaient les Sackler qui étaient liés à cette crise. Et ce nom de Sackler, elle ne le connaissait que par les musées. Dans ce film, on traite de l’impunité puisque finalement, cette famille a pu échapper à la dimension criminelle en déposant le bilan. Ce qu’on arrive à montrer dans le film, c’est quand, à travers ce procès, on force les membres de cette famille à écouter les témoignages des victimes. Et elle est complètement insensible à eux.
Ce film ‘All the Beauty and the Spilled Blood’ révèle quelque chose sur les États-Unis, une société qui permet aux entreprises de profiter de la souffrance des citoyens et qui stigmatise le peuple, les victimes.
Laura Poitraschez franceinfo
Nan Golding a gagné avec un avocat qui s’est porté volontaire contre 80 avocats d’en face. C’est une énorme leçon de vie. Tu es aussi une leçon de vie et j’aimerais qu’on parle de toi. Votre premier documentaire portait sur la guerre en Irak. Vous avez également été placé sur la liste de surveillance du Département de la sécurité intérieure des États-Unis. Vous êtes actuellement arrêté plus de 40 fois à la frontière américaine. Vous avez été choisi par Edward Snowden pour faire des révélations, ce qui a donné naissance au film Citoyenfour, pour lequel vous avez remporté un Oscar. Quel est votre moteur ?
J’ai fait un film sur l’occupation de l’Irak et la guerre. J’y ai passé huit mois à filmer l’occupation, à la documenter du point de vue d’un médecin irakien, et c’est la rage qui m’a poussé contre cette occupation américaine et surtout le fait qu’ils prétendent le faire au nom de la démocratie. Et parce que j’étais sous cette surveillance du gouvernement américain, je suis devenu un expert dans la façon de crypter toutes mes données et j’ai quand même réussi à faire mon travail. Alors, évidemment, c’est une dimension à laquelle Edward Snowden n’a pas échappé. Parfois c’est effrayant. Je ne vais pas mentir, je ne dors pas bien. Je crains que les Américains soient tout à fait capables de me mettre en prison. Voyez ce qui est arrivé à Julian Assange pour ce qu’il a publié sur la guerre en Irak et en Afghanistan, ils veulent le garder en prison à vie. C’est absolument terrifiant pour n’importe quel journaliste d’investigation dans le monde, moi y compris, car nous pourrions être les prochains sur la liste.
Que représente alors ce documentaire ?
On a plus parlé de sang versé que de beauté et pourtant, c’est le cœur du film. C’est vraiment une célébration du pouvoir de l’art d’une personne de pouvoir faire la différence et d’inspirer les autres avec la capacité de résister et de ne pas laisser les gens se faire détruire. Il y a des artistes qui continuent de célébrer la sexualité et d’être queer et d’autres visions du monde et cela, pour moi, est très inspirant.