“L’examen par les députés de la réforme des retraites met en lumière les fragilités inhérentes au parlementarisme”

ÀAvec sa colonnade restaurée et ses dorures, le Palais-Bourbon donne une fausse impression de solidité. Les parlements d’Europe ont environ deux siècles. Ils ont fait l’histoire des différents pays du continent. Ce sont des symboles démocratiques par excellence. On oublierait presque que ce sont des dispositifs fragiles, des artifices que les hommes ont mis en place et qu’ils peuvent détruire. L’épisode de la révision de la loi sur les retraites à l’Assemblée en février est inquiétant de ce point de vue.

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Les assemblées parlementaires souffrent de deux points de fragilité vis-à-vis desquels l’ingéniosité des constitutionnalistes ne pouvait pas grand-chose. Il leur faut d’abord un minimum de légitimité sociale. Ils peuvent certes être impopulaires, moqués, mais le sentiment que quelque chose d’important et de spécifique se joue dans leurs murs est nécessaire, à long terme, à leur maintien. L’institution parlementaire repose essentiellement sur un crédit social, une foi collective. Comme l’écrivait Raymond Aron au moment de l’avènement du Ve République parlant des révolutions du XIXe siècle : « Le régime ne croyait plus en lui-même : il suffisait qu’il soit connu de quelques mouvements de rue pour renverser les trônes. »

Tolérez-vous les uns les autres

Deuxième fragilité, les assemblées ont besoin que leurs membres acceptent de jouer le jeu du pluralisme apaisé. La majorité doit accepter de ne pas abuser de sa domination numérique pour laisser parler l’opposition. L’opposition doit s’engager à ne pas abuser de ce droit à la parole qui lui est confié pour bloquer la machine. Cela ne signifie pas forcément s’écouter et encore moins trouver des compromis ou même s’estimer.

Il faut juste jouer le jeu avec un minimum de modération, c’est-à-dire comme l’écrivaient Steven Levitsky et Daniel Ziblatt dans La mort des démocraties (Calmann-Lévy, 2019), se tolèrent et se retiennent. La reconnaissance de la défaite le soir des élections est la plus révélatrice de ces règles implicites du jeu démocratique qui, de manière cruciale, s’appliquent aux deux camps. Mais il y en a d’autres propres au Parlement : ne pas bloquer la tribune trop longtemps, laisser la minorité s’exprimer, modérer ses insultes et même venir au meeting.

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Sous ces deux aspects, l’épisode de l’examen à l’Assemblée de la réforme des retraites met en lumière les fragilités inhérentes au parlementarisme. Une grande partie du public peut être offensée par le niveau de tension et les insultes qui semblent trahir la promesse d’un pluralisme pacifique. A l’échelle des dernières législatures, on observe en effet une dynamique de radicalisation de la parole. L’insulte ” menteur “ lancé au député François Hollande en 2005 était proche de la limite, le mot “meurtrier” libéré contre le ministre Olivier Dussopt le dépasse.

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