Ovidie : “Je suis le pire cordonnier de France”

Eloïse Delsart s’est fait connaître en 1999 sous le nom d’Ovidie, alors qu’elle était étudiante en philosophie et venait de tourner son premier film pornographique. Elle passe rapidement derrière la caméra, réalisant d’abord des films X puis de nombreux documentaires. Figure féministe, elle raconte aujourd’hui dans un livre publié par Vanessa Springora chez Julliard le parcours qui l’a conduite, pendant quatre ans, à “sortir du sexe”. Au moins temporairement.

Je ne serais pas venu ici si…

Si je n’avais pas participé, en novembre 1999, à une émission très regardée de Mireille Dumas, sur France 2, dont le titre était : « Vous avez dit porno ». J’avais alors 19 ans, le premier film dans lequel je venais de tourner n’était pas encore sorti, mais des journalistes en avaient entendu parler. Un jeune étudiant qui se déchaîne en X est un bon sujet. Comme je suis un peu malin, j’accepte le spectacle. C’est le moment où je dois choisir avec certitude un pseudonyme, qui constituera ma nouvelle identité pour l’éternité. Soudain, je deviens quelqu’un d’autre. Un personnage médiatique se crée, cette Ovidie que les gens aimeront, que d’autres détesteront, sans que personne ne me connaisse vraiment. Avant l’émission, Mireille Dumas me montre le montage et, anticipant ce qui m’attend, me demande si j’accepte vraiment l’émission. Je dis oui et ma vie change.

En bien ou en mal ?

Les deux. D’une part, grâce à ce programme, Canal+ me demande d’écrire des scénarios. J’accepte, à condition de les réaliser aussi. Six mois plus tard, je termine mon premier film, je suis souvent invité dans les médias, et il y a une certaine jubilation à se retrouver au centre de l’attention. De l’autre, arrivent tous les ennuis anticipés par Mireille Dumas. Je commence à être reconnu dans la rue, insulté, j’ai parfois peur pour mon intégrité physique. Ovidie devient une poupée vaudou dans laquelle on plante des aiguilles. J’essaie de garder le contrôle de ce personnage, mais je comprends tout de suite qu’une partie de moi ne m’appartient plus. Je me brouille avec ma famille et avec la moitié de mes amis, de mes camarades militants antisexistes et d’extrême gauche, qui jugent que je trahis la cause, que je me vends à la société du spectacle que je prétendais combattre.

A l’université de Tours, où je suis en deuxième année de philo, c’est aussi compliqué. Ils ne me disent rien frontalement, mais la pression est forte. Trois jours après le spectacle, notre prof de grec nous a donné deux heures de cours sur la pudeur… Sur le plateau, j’avais dit à Mireille Dumas : « J’irai jusqu’à la thèse, pas de problème. En fait, j’ai dû arrêter mes études pendant quinze ans. Je n’imaginais pas la violence de la stigmatisation qui m’attendait. On m’a craché dessus pendant dix ans. Ma thèse, je ne l’ai soutenue que fin 2020. Et, bien que j’enseigne depuis six ans, j’ai toujours le sentiment de n’être légitime nulle part.

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