Réforme des retraites : “Un gouvernement sage doit veiller à ne pas mépriser la social-démocratie, surtout quand ses représentants parlent d’une seule voix”

jee pensée rapide, prêt-à-penser, peut être aussi nocif pour l’intelligence que la restauration rapide l’est pour la santé. Parmi les plats les moins recommandables qui nous sont servis ces temps-ci dans les médias figure l’opposition entre démocratie et rue. Réservé à satiété, ce prêt-à-penser justifie par avance le dénouement heureux de la réforme des retraites, qui ne pouvait être que la victoire du bien démocratique sur le mal anarchique. Mais non seulement cette présentation des choses méconnaît la nature de notre démocratie, mais elle contribue aussi à la priver d’une des jambes qui lui permet de marcher : sa jambe sociale.

La « société » visée par la Déclaration de 1789 était idéalement conçue comme un corps homogène, composé d’hommes libres et égaux (même si cet idéal fut aussitôt trahi par la privation du droit de vote aux femmes, puis par le rétablissement de l’esclavage dans les colonies et par l’exclusion des pauvres de l’électorat au moyen du suffrage fondé sur la propriété).

Ainsi comprise comme un ensemble d’individus tous pareils, la société politique ne saurait admettre d’autre représentation que celle résultant des élections, d’où l’anéantissement de tous les corps intermédiaires par la loi Le Chapelier et le décret Allarde en 1791. Selon l’ironie de Tocqueville, « La notion de gouvernement est simplifiée : le nombre seul fait la loi et le droit. Toute politique se réduit à une question d’arithmétique..

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La social-démocratie est un remède aux insuffisances de cette conception purement quantitative de la représentation politique. Elle est née du choc de la révolution industrielle et du constat que la société n’est pas le corps politique homogène rêvé en 1789, mais un “un peu tout”, selon l’expression utilisée dès le XVIIe siècle par Vauban pour jeter les bases de la statistique comme science des États. Un tout, pas un groupe d’individus.

Cette société, dont les enquêtes statistiques et la sociologie naissante ont révélé au XIXee l’hétérogénéité et les dysfonctionnements du siècle, ne peut se maintenir sans une foi partagée en une certaine idée de la justice. C’est cette exigence de justice qui conduisit, au XIXee siècle, les pays européens, confrontés à la « question sociale » des ravages humains de la révolution industrielle, à poser les premières pierres d’une « loi sociale » visant à protéger leurs populations les plus vulnérables, à commencer par les femmes et les enfants travailleurs.

“Nouvelle gestion publique”

Au tournant du XIX et XXe siècles, ce nouveau champ du « social » a été étudié en France par quelques grands juristes (Saleilles, Hauriou, Duguit) et sociologues (Fouillée, Durkheim). Aux États-Unis, c’est surtout John Dewey (1859-1952) qui dénonce les impasses méthodologiques résultant de l’assimilation de la société à un ensemble d’individus, alors que ceux-ci se retrouvent soumis au pouvoir oppressif des grandes corporations. les sociétés de capitaux, auxquelles la loi a conféré une existence légale et un pouvoir économique illimité en même temps qu’une responsabilité limitée.

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