Sous le nom de “American Trilogy”, trois films issus de la courte mais puissante filmographie de ce réalisateur américain méconnu, sont à découvrir en salles à partir de mercredi dans une version restaurée.
Cinéaste résolument indépendant, professeur de cinéma à Yale pendant plus de quatre décennies, Michael Roemer, 95 ans, fait partie de ces maîtres discrets et injustement méconnus du cinéma américain, y compris outre-Atlantique, dont les œuvres enfin restaurées doivent être redécouvertes de toute urgence. . Trois longs métrages de ce réalisateur humaniste sortent ou sortent en salles en France grâce à Films du Camélia, mercredi 15 mars 2023.
C’est rien qu’un homme (Un homme comme tant d’autres1h30, 1964), Le complot contre Harry (Harry Plotnick seul contre tous1h21, 1970) et la vengeance est mienne (La vengeance est mienne1:58, 1984).
En surface, ces trois films ont peu de choses en commun. Le premier traite des difficultés d’un jeune couple afro-américain dans le sud raciste et ségrégationniste des États-Unis au début des années 1960, en pleine lutte pour les droits civiques. Le second est une comédie loufoque et quelque peu décousue sur un petit escroc rédempteur de la communauté juive du Bronx, à New York. Quant au troisième, le seul en couleur, il s’agit d’un film psychologique envoûtant dans lequel une série de drames, familiaux et personnels, s’entrechoquent dans la vie d’une femme, incarnée par la lumineuse Brooke Adams (vue dans Les récoltes du ciel de Terrence Malick), qui va s’attacher à une petite fille écrasée par une mère dérangée mentalement.
Un fil rouge unit pourtant ces trois films et d’abord l’humanisme qui s’en dégage. Michael Roemer a une approche subtile de ses personnages, il nous partage leurs drames comme en immersion, filmant toujours au plus près des visages et des expressions. Surtout, le réalisateur ne juge pas ses personnages ; il se contente de nous les montrer dans leur vérité la plus simple, sans fioritures, mais en prenant le temps, de la manière la plus juste possible.
“Rien qu’un homme”, un film de peu de mots qui en dit long
Sur les trois films, rien qu’un homme est le plus puissant. Donné comme “Le film préféré de Malcolm X”, c’est un long métrage de peu de mots qui en dit long sur la condition des Afro-Américains à cette époque. Récompensé à la Mostra de Venise lors de sa sortie en 1964 par le Prix San Giorgio, décerné à des œuvres importantes pour le progrès de la civilisation, ce film était alors sans égal.
Michael Roemer qui, dans une approche quasi documentaire, a passé du temps dans des familles afro-américaines du Sud avec son co-scénariste Robert M. Young avant d’écrire le scénario, raconte un drame qui fait écho au sien. Né à Berlin en 1928, Michael Roemer a échappé au régime nazi à l’âge de onze ans grâce à l’opération Kindertransports, qui l’a envoyé en Angleterre avec des milliers d’autres enfants juifs. Il rejoint ensuite les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale.
rien qu’un homme raconte l’histoire de Duff (Ivan Dixon). Ouvrier à la construction des chemins de fer, il est bien payé et mène une vie itinérante et sans attaches en compagnie de ses collègues, noirs comme lui. Un jour, en Alabama, Duff se promène seul dans la ville la plus proche et, bien qu’il ne soit pas très religieux, se retrouve dans l’église noire locale d’où s’échappent des chants gospel. Il y rencontre la charmante Josie, une institutrice, qui est aussi la fille du prêtre. Contre son avis, ils commencent à sortir ensemble. Mais Duff sent rapidement que l’impasse se dessine : “Soit on va au bûcher, soit on se marie. Mais tu ne veux pas dormir et je ne veux pas me marier», résume-t-il après quelques chastes rendez-vous.
Le problème, cependant, est tout autre. Si Duff plaît tant à Josie c’est parce qu’il est différent des autres noirs de la communauté, et notamment de son révérend père qui a accepté tous les compromis avec les blancs pour que le statu quo perdure. Cependant, s’inclinant, très peu pour Duff. Il ne cherche pas particulièrement à en découdre, mais il aspire à rester digne et ne se résigne pas à l’intimidation, pas plus qu’il ne tolère la condescendance et le paternalisme cinglant des Blancs qui harcèlent sans cesse les Noirs pour qu’ils restent là où ils sont.
Violence en sourdine sur une bande originale de Motown
Alors qu’il propose finalement à Josie et quitte son emploi bien rémunéré pour un emploi à la scierie locale, son refus de faire des compromis et de se soumettre, même en tant qu’ouvrier, lui vaudra rapidement une image de fauteur de trouble. et le priver de travail dans tout le comté. Au même moment, Duff retrouve son père, un vieil alcoolique défaillant qui l’a abandonné, et va rendre visite à son garçon illégitime de 4 ans qui vit sans amour avec une mère porteuse.
Sans jamais en faire trop ni trop montrer (les incidents restent mesurés, la brutalité est le plus souvent verbale), Michael Roemer parvient à instaurer, dans un calme apparent, un climat de menace, de violence sourde et de tension psychologique remarquable. Le film, en noir et blanc magnifique, est lent et dépouillé mais parfaitement construit. Le vice de la domination blanche se referme peu à peu sur le personnage de Duff qui, se débattant, va tourner sa colère contre ce qu’il chérit le plus. Arrivera-t-il à ravaler sa rage et à construire un foyer harmonieux ?
Sur une bande originale Motown, ce film à forte résonance politique, qui parvient à faire ressentir au spectateur les tourments vécus par ses personnages, est porté par deux acteurs non seulement excellents mais très impliqués : Ivan Dixon, qui interprète Duff, et le chanteur et L’actrice Abbey Lincoln, qui joue Josie, était à l’époque des militantes actives du mouvement des droits civiques aux États-Unis.
Rétrospective “American Trilogy” de Michael Roemer, en salles le mercredi 15 mars 2023