La publication publiée dans la revue Nature suggère que la boule métallique au cœur de notre planète est soumise à une lutte entre le champ magnétique terrestre et son manteau.
Imaginer. Située à 5000 kilomètres sous nos pieds, une boule d’un diamètre de 2446 km tourne sur elle-même, flottant dans une soupe métallique. C’est le noyau interne de notre planète, constitué d’un alliage de fer et de nickel chauffé à plus de 5500°C. Découvert en 1936 par la sismologue danoise Inge Lehmann, il n’a cessé de fasciner les scientifiques.
“C’est incroyable qu’il y ait une boule de métal solide flottant au milieu de la Terre”, s’émerveille encore auprès du New York Times John Vidale, sismologue à l’Université de Californie du Sud.
D’autant plus qu’elle n’a pas fini de nous dévoiler tous ses secrets. Dans une étude publiée lundi dans la revue Géoscience de la nature, deux sismologues de l’Université de Pékin, Yi Yang et Xiaodong Song, suggèrent que la « graine » de notre planète répond à un cycle de 70 ans. Tous les 35 ans, il changerait de sens de rotation. Et nous serions en train de vivre l’un de ces changements.
Arrêt de rotation entre 2009 et 2011
Pour parvenir à leurs conclusions, les deux scientifiques ont étudié les ondes sismiques enregistrées des années 1960 à nos jours, provoquées par des tremblements de terre et des essais nucléaires. Car si le noyau interne, situé trop profondément, est impossible à étudier directement, les ondes qui l’atteignent ne le sont pas.
Or, si le noyau interne était inerte et se contentait de suivre le sens de rotation de la Terre, les ondes sismiques mesurées par les scientifiques emprunteraient toujours le même chemin. Mais au fil du temps, ce “chemin” diffère. A la fin du 20ème siècle, le professeur Xiaodong Song suggérait déjà que cette boule métallique se déplaçait à une vitesse différente de celle de notre planète.
Ce lundi, aux côtés de son collègue Yi Yang, il présente un scénario plus détaillé. En 1970, la “graine” s’est arrêtée. Il a ensuite progressivement commencé à tourner vers l’Est, avant de dépasser le sens de rotation terrestre, puis de ralentir, pour finalement s’arrêter entre 2009 et 2011. Depuis, il a recommencé sa rotation, mais cette fois vers l’Ouest. Elle devrait marquer un nouvel arrêt en 2040, avant de repartir vers l’Est.
Une oscillation tous les sept décennies ?
Pour parvenir à ces conclusions, les scientifiques chinois ont d’abord analysé les ondes sismiques qui se sont produites depuis le début des années 1990. Ils ont montré peu de changement de trajectoire au cours de la dernière décennie.
“Ce schéma globalement cohérent suggère que la rotation du noyau interne s’est récemment arrêtée”, expliquent-ils dans leur étude.
“Nous avons comparé ce schéma récent aux enregistrements sismiques des îles Sandwich du Sud datant de 1964 et il semble être associé à un retour progressif du noyau interne dans le cadre d’une oscillation d’environ sept décennies, avec un autre tournant au début des années 1960. .1970”, détaillent-ils.
“On n’a que 57 ans de données, donc c’est à prendre avec des pincettes. (…) Quand on aura 50 ans de données de plus, on aura plus de recul pour croire à cette valeur. En tout cas, ce semble montrer une tendance très longue », détaille le Parisien Séverine Rosat, géophysicienne à l’Université de Strasbourg.
Un bras de fer sous nos pieds
Pour expliquer ce possible changement de rotation, les deux scientifiques évoquent un bras de fer qui se déroule sous nos pieds pour prendre le contrôle du noyau interne. Comme l’a noté New York Times, Yi Yang et Xiaodong Song pensent que le champ magnétique terrestre fait tourner le noyau interne dans une direction. Mais cette impulsion est contrée par le manteau terrestre et son immense champ gravitationnel, qui ralentit la rotation de la boule métallique qu’est le noyau interne.
Cette lutte acharnée sous nos pieds a-t-elle un impact en surface ? Les sismologues chinois pensent que si c’est le cas, les conséquences sont mineures. Le changement de rotation du noyau interne pourrait légèrement modifier le champ magnétique de notre planète, entraînant une très légère altération de la durée d’une journée, dont on sait qu’elle augmente et diminue d’une fraction de milliseconde tous les six ans.
Saurons-nous un jour avec certitude ce qui se passe sous nos pieds ? Pas si sûr, dit le professeur Vidale interrogé par le New York Times, ce qui avance l’impossibilité technique actuelle d’accéder à ce sanctuaire souterrain. “Il est très possible que nous ne découvrions jamais la vérité. (…) Mais je suis un optimiste. Les morceaux finiront par se recoller un jour”, dit-il.